Gaston Toussaint (1872-1946). Encre et aquarelle. 20 x 26 cm.

Ce qui nous a plu

Gaston Toussaint s'attaque ici à une scène de mythologie emblématique, traitée à de nombreuses reprises dans la peinture classique : la traversée du Styx sur le bateau de Charon. Alors que Charon conduit le bateau sur les flots noirs du Styx comme un tramway de l’au-delà, un groupe lugubre de damnés l'entoure et s'apprêt à aborder la rive de l'enfer, avec une note poignante de fin irrévocable. Charon avance implacablement alors que les condamnés se pressent craintivement en un groupe serré, faisant tanguer l'esquif. L'un, à l'arrière, essaie de fuir la tragédie qui le menace. Une autre découvre l'horreur et, les yeux écarquillés, porte une main à l'oreille. L'autre se protège du bras, comme si elle se refusait à affronter la réalité. Le traitement de l'aquarelle, flou et saturé, contribue à l'atmosphère onirique (ou plutôt cauchemardesque) de la scène, dans une esthétique art déco typique des autres œuvres graphiques de Toussaint. On pense à Dante, bien sûr, mais aussi à un radeau sans radeau, où les naufragés ne crient plus vers le ciel : ils savent qu’il est trop tard. Une œuvre qui remue plus qu’elle ne rassure — et c’est pour cela qu’on l’aime.

Ce que l'on sait de l'artiste

Gaston Toussaint (1872–1946) fut d’abord sculpteur, formé dans la tradition académique, avant de se rapprocher des grandes figures de son temps. Il travailla notamment auprès d’Antoine Bourdelle sur les bas-reliefs du théâtre des Champs-Élysées, prestigieux chantier de l’avant-garde parisienne. Son œuvre personnelle fut exposée au Salon des Tuileries de 1923 à 1939. Si ses sculptures sont plus fréquemment répertoriées, cette incursion dans la peinture à l’encre et aquarelle témoigne d’un même sens du drame figé et d’un goût prononcé pour les figures héroïques ou mythologiques. Une œuvre qui, même à l’échelle modeste du papier, frappe par sa puissance narrative et son intensité formelle.