Le nu en peinture, bien plus que de l’érotisme

L'histoire du nu en peinture commence avec celle de la peinture elle-même. Des grottes préhistoriques aux galeries modernes, le nu a traversé les âges, provoquant, fascinant, et souvent suscitant des débats passionnés. Petit voyage à travers les époques en déshabillé…

6/18/202411 min read

Le début du strip-tease artistique commence à la préhistoire

Nos ancêtres cueilleurs chasseurs étaient également gribouilleurs. Les Vénus paléolithiques, comme la célèbre Vénus de Willendorf, sont des statuettes de femmes aux formes généreuses. Ces œuvres si elles sortent du champ de la peinture, posent les bases de la tradition de représentation du corps. Un corps humain, souvent féminin et souvent... très nu.

Les peintures rupestres qui remontent à la préhistoire, constituent les premières manifestations artistiques de l'humanité. Réalisées sur les parois des grottes, elles offrent un aperçu fascinant des croyances, des rituels et de la vie quotidienne de nos lointains ancêtres. On les trouve principalement dans des grottes et des abris rocheux, les sites les plus célèbres étant les grottes de Lascaux en France, d'Altamira en Espagne, et de Chauvet, également en France. Ces œuvres datent généralement de la période paléolithique supérieure, entre 40 000 et 10 000 ans avant notre ère.

Les représentations humaines sont relativement rares dans l'art rupestre, comparées aux nombreuses images d'animaux. Les figures humaines apparaissent souvent sous des formes schématiques et stylisées, plutôt que naturalistes. Lorsqu'elles sont représentées, ces figures peuvent être interprétées de plusieurs manières, allant des chasseurs et des guerriers aux figures mythologiques ou spirituelles.

Les figures humaines y sont représentées de façon très simples, voire schématiques et dépourvues de détails anatomiques. Cela rend difficile de déterminer si elles étaient censées être nues ou vêtues. Toutefois, il existe quelques exemples où la nudité est suggérée, notamment à travers des figurations simplifiées des parties du corps.

Dans certaines grottes, comme celles de Lascaux et de Chauvet, des figures humaines simplifiées apparaissent dans des scènes de chasse ou des rituels. Ces figures, souvent sans vêtements distincts, peuvent être interprétées comme nues, bien que leur abstraction rende toute conclusion difficile. Les Vénus paléolithiques ne sont pas des peintures, mais des sculptures. La Vénus de Willendorf, par exemple, représente une femme nue aux formes exagérées. De telles figurines accentuent des détails anatomiques tels que les seins, les hanches et le ventre, liés à la fertilité et la maternité.

Les peintures rupestres offrent une perspective fascinante mais énigmatique sur les premiers exemples de l'art humain. La rareté et la simplicité des représentations humaines, y compris les figures possiblement nues, laissent beaucoup de place à l'interprétation. Elles seraient ainsi associables à :

  • Des rites et cérémonies, certaines scènes semblant avoir un lien avec des rituels de fertilité ou des cérémonies religieuses, où la nudité jouerait un rôle symbolique.

  • La chasse et la magie : les figures humaines nues seraient associées à des pratiques de « magie sympathique », où représenter des actions (comme la chasse) serait censé influencer le monde réel.

  • Le symbolisme et la mythologie, les figures humaines nues représentant alors des personnages mythologiques ou spirituels, incarnant des forces naturelles ou des divinités.

Toutefois, ces œuvres sont des témoins précieux des préoccupations, des croyances et de l'ingéniosité artistique de nos ancêtres. Ces premières manifestations de la nudité dans l'art, nous éclairent en quelque sorte sur les ressorts originels d’une tradition artistique qui a perduré.

Antiquité : les Dieux et les héros s’exhibent

Dans l'Antiquité grecque, le corps humain est célébré. Ses représentations constituent un idéal de beauté et de perfection encore vivace de nos jours. Les Grecs introduisent le concept du « nu héroïque » : l’homme est représenté dans toute sa gloire athlétique. La femme, souvent moins dévêtue, idéalise davantage la grâce.

Prenez par exemple le « Discobole » de Myron ou l’« Aphrodite de Cnide » de Praxitèle. Si le premier est un athlète parfait, chaque muscle tendu dans un effort éternel, la seconde quant à elle, bien que nue, est empreinte de délicatesse et de mystère. En outre, les représentations d’un corps masculins idéalisés prennent indéniablement une dimension homoérotique, en phase avec les mœurs et les relations sociales de l'époque.

Moyen Âge : cachez ce sein que je ne saurais voir !

Le Moyen Âge, c’est le couvre-feu. Le nu va se rhabiller. Sous l’influence omnipotente de L'Église, le corps humain est perçu comme LA source de péché. La nudité est rarement représentée, avec l’exception notable : les scènes de damnation.

Des damnés à poil, dans toute leur vulnérabilité

Dans les peintures médiévales, les scènes de damnation se doivent d’être effrayantes et moralisatrices puisqu’elles rappellent aux fidèles les conséquences terrifiantes du péché. Exposées Ces œuvres, exposées dans les églises et les cathédrales, sont avant tout des mises en garde visuelle contre les dangers de l’enfer. Elles attirent immédiatement l'œil du spectateur par leur intensité et leur dynamisme.

La scène de damnation médiévale typique est une partie d'un jugement dernier, souvent peinte dans des fresques murales ou des triptyques. La scène est souvent divisée en deux parties distinctes. En haut, les cieux lumineux et glorieux où les âmes bénies sont accueillies par des anges et des saints. En bas, un sombre et terrifiant enfer où les damnés subissent des tortures éternelles.

Les damnés y sont nus. Donc vulnérables et honteux. Leurs corps sont souvent tordus et contorsionnés dans des postures de souffrance extrême, illustrant les tortures infernales qu'ils endurent. Les expressions de terreur et de douleur sont exagérées, avec des bouches béantes, des yeux écarquillés et des gestes désespérés. Les démons, créatures grotesques et hideuses, sont omniprésents. Ils se délectent des tourments infligés aux damnés. Leurs traits sont monstrueux : cornes, crocs, ailes de chauve-souris, et griffes acérées. Ils utilisent une variété d'instruments de torture, tels que des fourches, des chaînes, des flammes et des chaudrons bouillants, pour infliger des souffrances inouïes aux pécheurs. L’enfer est dépeint comme un paysage désolé et chaotique. Sol fissuré et brûlant, rivières de feu et lacs de soufre. Les flammes sont omniprésentes, jaillissant des crevasses et enveloppant les damnés. Parfois, des éléments architecturaux comme des portes béantes ou des gouffres sans fond ajoutent à l’effet de terreur.

Chaque détail est chargé de symbolisme, représentant divers péchés et leurs punitions correspondantes. Par exemple, les gourmands peuvent être montrés en train de manger des serpents ou des crapauds, tandis que les luxurieux sont souvent enchevêtrés dans des postures lascives et douloureuses et les avares représentés submergés par des pièces de monnaie brûlantes ou dévorés par des créatures. L’atmosphère est sombre et oppressante, renforcée par des couleurs sombres, des ombres profondes, et des contrastes violents entre la lumière céleste et les ténèbres infernales. Les cris des damnés et les ricanements des démons semblent presque audibles.

Un exemple célèbre de ce type de scène se trouve dans « Le Jugement Dernier » de Giotto, situé dans la Chapelle des Scrovegni à Padoue. Le bas de la composition y est dominé par une vision effrayante de l'enfer. Les damnés, nus et tordus, subissent des tortures horribles infligées par des démons grotesques. La représentation est intensément graphique, capturant la douleur et la désolation de l'enfer de manière vivide et troublante.

La Renaissance redécouvre le corps au propre et au figuré

La Renaissance marque une véritable renaissance du nu. Inspirés par l'Antiquité, les artistes comme Michel-Ange et Léonard de Vinci explorent le corps humain avec une précision scientifique et une admiration palpable. Le « David » de Michel-Ange est l’archétype du nu masculin renaissant : fort, beau et incroyablement détaillé.

Botticelli lui, avec sa « Naissance de Vénus », crée un symbole de beauté féminine intemporelle, debout nue sur une coquille de mer. Une représentation non exempte de sexisme, comme souvent (toujours ?). La femme est réduite à un objet de désir, posée dans des postures passives, offerte aux regards masculins.

L’Art Baroque : emphase et sensualité

Le Baroque porte le nu à un niveau de drame et de sensualité inégalé. Les artistes comme Rubens peignent des nus féminins aux formes généreuses, exagérant souvent les courbes pour accentuer la sensualité. Rubens aimait les femmes pulpeuses, et cela se voit ! Ses « Trois Grâces » sont un hymne à la féminité opulente, mais cette opulence peut aussi être vue comme une vision idéalisée, voire objectivante de la femme. Pour les hommes, le nu baroque tend à la théâtralité et à la force. Le « Saint Sébastien » de Guido Reni, par exemple, montre un saint éthéré, à la fois vulnérable et beau.

Néoclassicisme : le retour à la rigueur antique

Le néoclassicisme revient une certaine rigueur et un goût pour l'idéalisation classique. David ou Ingres recréent des scènes mythologiques et historiques où les corps, bien que souvent nus, sont représentés avec une précision académique. Ingres, avec son « Grande Odalisque », a allongé les proportions pour accentuer la grâce et la langueur féminine, tout en maintenant un regard masculin et possiblement sexiste sur la féminité.

Romantisme : le nu émotif et émouvant

Le Romantisme apporte au nu une dose d'émotion et d'exotisme. Delacroix, Géricault peignent des corps tourmentés et expressifs. Le « Radeau de la Méduse » de Géricault, bien que principalement un drame humain, contient des nus masculins dans des poses désespérées, capturant la souffrance et l'humanité. Ici, le nu masculin est souvent plus que simplement érotique. Il est vecteur d’émotion et de symbolisme.

Le nu du quotidien de la peinture réaliste

Le Réalisme replace le nu dans la vie quotidienne. Les artistes comme Courbet ont peint des corps sans idéalisation, bruts, directs. Dans leur plus simple appareil. « L'Origine du monde », sans doute l'un des nus les plus controversés de l'histoire, présente un gros plan du sexe féminin avec une franchise déconcertante pour l'époque.

Courbet, connu pour défier les conventions artistiques et sociales de son temps, offre une déclaration audacieuse contre les normes artistiques hypocrites et puritaines. En exposant ouvertement la sexualité féminine, Courbet confronte le public à une réalité cachée et censurée. L'œuvre s'inscrit dans le mouvement réaliste, qui cherche à représenter la vérité sans embellissement. En montrant le sexe féminin de manière directe et réaliste, Courbet semble avoir voulu provoquer une prise de conscience et une discussion sur la sexualité et la nature humaine. En quelque sorte une forme de réappropriation de la sexualité féminine. Il expose ce qui est souvent caché, affirmant l’universalité, la puissance et de la beauté de la femme. A une époque où la sexualité féminine est largement réprimée et stigmatisée, une représentation aussi directe et sans honte devient révolutionnaire et libératrice.

Mais dans le même temps, Courbet réduit la femme à son anatomie, et pas à n’importe quelle part de cette dernière. Il en fait aussi un objet de désir pour le regard masculin. Le tableau n'offre pas de visage ni d'individualité à la femme représentée. Elle devient simplement une représentation de son sexe, ce qui peut être vu comme réducteur et dégradant et contribue à sa déshumanisation et à son objectification. Pour iconoclaste qu’il soit, Courbet se plie aussi à la société patriarcale, aux normes artistiques dominées par des hommes et perpétue des attitudes sexistes.

Impressionnisme et Post-impressionnisme : lumière, forme… un regard réducteur ?

Les impressionnistes ont exploré la lumière et la couleur sur le corps humain. Manet et son « Olympia » scandalise Paris en représentant une prostituée nue, défiant le regard du spectateur. Les post-impressionnistes comme Gauguin transportent le nu dans des contrées exotiques, peignant des femmes tahitiennes avec une sensualité colorée. Bien que fascinantes, ces œuvres sont là encore parfois critiquées pour leur regard colonial et objectifiant sur les femmes (a fortiori mineure).

Il est d’ailleurs notable qu’ils préfèrent souvent les nus féminins. Soumission aux conventions sociales et aux attentes du marché de l'art ? « Le Déjeuner sur l'herbe » (1863) de Manet est édifiant : célèbre pour la nudité féminine audacieuse au premier plan, il inclut également des hommes habillés. Ce contraste entre la nudité des femmes et les vêtements des hommes, qu’elle que soit l’interprétation que l’on en fait, est déroutant.

Renoir se distingue. Il peint plusieurs œuvres représentant des jeunes hommes nus se baignant. Ses nus masculins sont souvent idéalisés et sensuels, ils célèbrent la beauté d’un corps humain lumineux, harmonieux, capturant l’innocence et la joie de vivre.

Modernisme : expérimentation et abstraction

Le XXe siècle a vu l'émergence du modernisme, où la forme et le concept prend le pas sur le sujet représenté. Le nu, s’il est expérimenté sous toutes les formes possibles devient toutefois, à l’instar de tout autre sujet, secondaire. Picasso a déconstruit le corps humain dans ses « Demoiselles d'Avignon », créant une version cubiste et fragmentée du nu. Modigliani, avec ses nus allongés, a capturé la sensualité avec une simplicité et une élégance distinctives. Les nus masculins et féminins sont libérés des conventions, mais le regard masculin persiste à dominer.

Art contemporain : la déconstruction des normes

Le nu en peinture dans l'art contemporain continue d'être une forme d'expression riche et diversifiée, mais il aborde des thèmes et des enjeux bien différents de ceux des périodes précédentes. Alors que les artistes classiques se concentraient souvent sur la beauté idéale, les normes esthétiques et les mythologies, les artistes contemporains explorent le nu sous des angles plus personnels, politiques, sociologiques et conceptuels.

Les artistes contemporains remettent souvent en question les normes traditionnelles de beauté et les idéaux corporels. Ils cherchent à représenter une gamme plus diverse de corps, incluant différentes formes, tailles, âges, genres et ethnicités. Cette diversité vise à célébrer la multiplicité des expériences humaines et à critiquer les standards de beauté souvent restrictifs et irréalistes.

Jenny Saville par exemple, connue pour ses représentations monumentales de corps féminins, défie les normes traditionnelles de la beauté en peignant des corps qui sont souvent en surpoids, marqués par la vie et pourtant puissants et dignes. Ses œuvres confrontent le spectateur à la réalité physique du corps humain, loin des idéalisations classiques.

La question du genre et de l'identité est également centrale. Les artistes utilisent le nu pour explorer les notions de masculinité, de féminité, et tout ce qui se trouve entre les deux. Ils interrogent les constructions sociales autour du genre et de la sexualité, ouvrant des perspectives.

Catherine Opie, connue pour sa photographie, influence la peinture contemporaine. Ses représentations de corps non binaires et queer ouvrent la voie à une exploration plus inclusive du nu en peinture. Kent Monkman, artiste autochtone, crée des œuvres provocatrices et narratives, souvent en utilisant des personnages de genres divers pour explorer les thèmes de l'identité, de la colonisation et de l'histoire.

Le corps nu est utilisé comme un outil de critique sociale et politique. Les artistes contemporains abordent des sujets tels que la politique du corps, les droits des femmes, la sexualité, la maladie, et la violence. Le nu devient un moyen d'expression pour des revendications sociales et politiques. De nombreux artistes contemporains utilisent le nu pour explorer des thèmes d'intimité et d'introspection personnelle. Ces œuvres peuvent être moins sur l'esthétique du corps et plus sur les émotions et les expériences vécues.

Les peintures de Marlene Dumas explorent la vulnérabilité humaine et les thèmes de la sexualité, de la race et de la mort. Dumas utilise le nu pour commenter les aspects les plus intimes et parfois troublants de l'expérience humaine. Kehinde Wiley, connu pour ses portraits de personnes habillées, inclut parfois des éléments de nudité pour réécrire et recontextualiser l'histoire de l'art occidental, en y incluant des figures noires dans des poses et des contextes traditionnellement réservés aux blancs.

L'histoire du nu en peinture est une histoire de fascination humaine pour le corps, mais c'est aussi une histoire de pouvoir, de genre et de désir. Chaque période a ses spécificités, ses héroïnes et ses héros dénudés, offrant un miroir des valeurs et des obsessions de son temps. Des courbes voluptueuses de la Renaissance aux formes fragmentées du cubisme, des héroïques nus grecs aux questionnements contemporains, le nu en peinture continue de captiver, de choquer et d'inspirer.

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