Motoko Ishii, geisha de la lumière et samouraï du luminaire

Motoko Ishii (石井 幹子, Ishii Motoko), née en 1938 dans la préfecture de Tokyo, est l’une des figures majeures du design d’éclairage japonais et international. Après avoir obtenu son diplôme à l’Université des Arts de Tokyo en 1962, elle part étudier/travailler (des stages et collaborations) dans des bureaux de conception d’éclairage en Finlande et en Allemagne entre 1965 et 1967.

10/3/20255 min read

À son retour au Japon, en 1968, elle fonde sa propre agence, Motoko Ishii Lighting Design Inc., à Tokyo, qui propose un éventail de services dans le domaine de l’éclairage : éclairage urbain, architectural, objets lumineux, événements, etc.. Parmi ses réalisations les plus notables, on retient :

  • L’éclairage de la tour de Tokyo (1989), qui a fortement contribué à accroître sa reconnaissance internationale.

  • De grandes expositions : l’Expo ’75 à Okinawa, l’Expo ’85 à Tsukuba, et le festival Japon Flora 2000.

  • De nombreux projets d’éclairage urbain ou architectural : ponts (Rainbow Bridge, Tokyo Gate Bridge, autres), bâtiments publics ou culturels, illumination de lieux patrimoniaux.

Elle a reçu de nombreuses récompenses nationales et internationales, dont des prix IESNA (Illuminating Engineering Society of North America), distinctions de l’Illuminating Engineering Society du Japon, la médaille au ruban pourpre (Shiju-hosho) du gouvernement japonais, etc.

Entre design, architecture et urbanisme : Motoko Ishii n’est pas seulement une designeuse de la lumière : elle a redéfini comment percevoir l’éclairage dans l’espace, dans la ville, dans la nuit et dans les bâtiments publics.

Elle propose une fusion de l’utilitaire et de l’esthétique : L’éclairage, pour elle, n’est pas seulement fonctionnel (pour voir la nuit ou illuminer un bâtiment). Il est sculptural, architectural. Elle travaille la diffusion, les ombres, la lumière comme matière visible. Ses projets ne se contentent pas d’apporter de la lumière : ils composent avec le lieu, en respectent l’architecture, l’environnement, et jouent de la lumière naturelle comme des oscillations du temps (soir/nuit, saisons) pour créer des ambiances qui parlent au plus grand nombre et, en premier lieu, aux usagers.

Elle innove techniquement, et à large échelle : Motoko Ishii ne se limite pas aux petits objets ou aux luminaires domestiques : ponts, tours, places publiques. Elle a su concevoir des éclairages d’envergure, qui doivent être sûrs, efficaces, durables, mais aussi beaux, expressifs. Cela a nécessité maîtrise technologique et sensibilité à l’impact sur l’environnement visuel urbain.

Elle fait dialoguer culture et esthétique : Ayant travaillé à l’étranger (Finlande, Allemagne) et ayant incorporé des influences diverses, Ishii a réussi à marier des sensibilités japonaises (notamment dans la façon dont la lumière est vue dans le contexte naturel ou architectural – ambiances changeantes, respect des saisons, poétique du clair-obscur) avec des esthétiques modernes occidentales. Cela lui permet d’être à la fois locale dans sa sensibilité (Japon) et globale dans ses réalisations

Elle éclaire la nuit et sublime les bâtiments : Des bâtiments comme la Tokyo Tower, des ponts, des théâtres, ou des scènes de festivals sont devenus des “monuments lumineux” grâce à ses projets. Elle a transformé le paysage nocturne de villes, en façonnant non seulement ce qui est vu mais ce que ressent le spectateur la nuit.

Elle crée une œuvre durable qui rencontre la reconnaissance institutionnelle : Grâce à ses prix, ses distinctions, son implication dans des organismes professionnels (associations de lumière, comités d’experts), elle a contribué à la professionnalisation du design d’éclairage comme discipline reconnue — pas simplement décorative ou technique, mais artistique, structurelle, et avec un enjeu esthétique-culturel.

La collaboration de Motoko Ishii avec Staff Leuchten

Parmi ses collaborations les plus intéressantes pour les amateurs de design vintage, celle avec la maison allemande Staff Leuchten mérite un panorama. Staff était (et reste dans l’esprit du vintage) un éditeur de luminaires très actif dans les années 60-70, à l’esthétique souvent « Space Age » ou du moins moderniste de salon, métal chromé, verres, surfaces réfléchissantes, etc.

Quelques pièces emblématiques issues de cette collaboration :

  • Appliques doubles métal/verre chromé/ cristal : une paire datant des années 1960 chez Staff, signée Motoko Ishii, avec globes de verre cristallin. Ces appliques montrent le goût d’Ishii pour les surfaces claires ou mi-miroitées, la lumière distribuée de façon douce mais précise à voir ici : Galerie Doda.

  • Grand plafonnier « Space Age » : une pièce imposante des années 1970, base métal chromé, colonnes multiples, globes de verre miroir ou semi-miroir pour atténuer le rendu lumineux direct. Taille généreuse, jeu de reflets, luminaire pouvant être monté au plafond ou au mur. Regardez plutôt : Pamono

  • Applique/plafonnier mural vintage par Staff : design allongé avec cylindres identiques, boules de verre qui masquent légèrement l’ampoule, effet miroir, transparence, etc. Excellente illustration de la manière dont elle « transforme » une ampoule ordinaire par le design de la structure autour pour obtenir une ambiance. Pamono

  • Lampes de table / petits luminaires Staff-Ishii : demi-globes en verre miroir + pied chromé, typiques de l’esthétique années 60-70, souvent recherchés pour leurs lignes claires, leur brillance, et leur capacité à refléter l’espace autour. Marcette+1

  • Lustre dit « Spoutnik » issus de la collaboration Ishii / Staff. On en trouve des exemplaires (parfois présentés sous forme “Sputnik chandelier by Motoko Ishii pour Staff”) sur des plateformes de collectionneurs. 1stDibs+1 Ce lustre « à fleur de cosmos » est composé de globes en verre plus ou moins nombreux disposés comme des planètes autour d’un noyau métallique chromé — une esthétique typique du style Space Age, où le luminaire ne se contente pas d’illuminer, mais sculpte l’air.

Les invariants du style Motoko Ishii

  • Un usage du reflet : verre miroitant, demi-globes ou globe miroir, surfaces chromées ou polies qui réfléchissent non seulement la lumière mais aussi l’espace environnant. Le luminaire devient à la fois objet émetteur de lumière et miroir décoratif.

  • Une esthétique « Space Age » : formes cylindriques, répétitions, compositions modulaires, une sorte d’élégance technique faite de métal et de verre.

  • Fonction / ambiance : ces pièces ne visent pas juste à éclairer (ce qui serait trop banal), mais à créer de l’ambiance—douceur, reflets, contrastes, atténuation du direct, modulation de lumière.

Motoko Ishii est remarquable car elle unit vision esthétique (formes, matériaux, lumière), excellence technique (répartition de la lumière, sécurité, durabilité) et émotion : ses éclairages urbains ou architecturaux parlent au sentiment, pas seulement à l’utilitaire. Son travail a influencé de nombreuses générations de designers d’éclairage, particulièrement au Japon mais aussi à l’étranger. Beaucoup reprennent aujourd’hui ses idées : comment scénographier la lumière dans un pont, un théâtre, un espace public ; comment bâtir le paysage nocturne d’une ville. Même dans le vintage, ses luminaires Staff sont aujourd’hui collectionnés, admirés, réédités, recherchés, non seulement pour leur fonctionnalité (ils éclairent encore) mais pour leur esthétique pure, leur capacité à transformer un espace.

Motoko Ishii est une figure charnière du design d’éclairage, un pont entre la fonction, la technique, et l’émotion esthétique. Collaboratrice de maisons comme Staff, elle a produit des pièces qui aujourd’hui semblent modernes encore, parce qu’elles ne suivent pas simplement la mode mais dessinent une manière de voir la lumière — dans la nuit, dans la rue, dans les salons.

Motoko Ishii à la Galerie du Pollet : suspension Motoko ISHII pour STAFF. Circa 1970.